L’art de vivre
populaire du cabanonier

De gauche à droite (au 1er plan) Mireille Rougeot, Jean Badovici, Robert Rebutato, Le Corbusier, Yvonne Le Corbusier sur la terrasse de l’Étoile de Mer. Au deuxième plan on aperçoit Thomas Rebutato © Fondation Le Corbusier / ADAGP - Photographe inconnu

Avec sa terrasse panoramique sur la mer, sa treille, les cannisses, sa salle de bar et son jardin en « restanques », l’Etoile de Mer illustre l’art de vivre populaire du cabanonier en Méditerranée.

 

C’est d’abord pour construire un cabanon où entreposer ses cannes à pêche et pique-niquer en famille que Thomas Rebutato, un artisan plombier niçois, achète en 1947 le petit terrain en «restanques» voisin de la Villa E-1027, en contrebas du sentier des douaniers longeant les voies ferrées. En 1949, cessant son activité de plombier, il le transforme en « bistrot casse-croûte ». Le Corbusier qui compte parmi les premiers clients devient vite un habitué de l’établissement où il réalise des peintures murales très appréciées du propriétaire. Elles ornent la façade et un mur de la chambre.

Le Corbusier, Thomas Rebutato et, derrière lui, une peinture de Le Corbusier en façade du restaurant © Fondation Le Corbusier / ADAGP - Photographe Willy Boesiger
À contempler sur la terrasse de l’Étoile de Mer : « À l’Étoile de Mer règne l’amitié », 1950. Thomas Rebutato et le pêcheur d’oursins représentés par le Corbusier © Fondation Le Corbusier / ADAGP - Photographe Manuel Bougot

Voir aussi les Unités de camping

L’HABITAT
MINIMAL

La conception d’origine de l’Etoile de Mer témoigne de ce que pouvait être un habitat minimal en bord de mer.

Prototype d’habitat minimal, construit par Thomas Rebutato selon les plans de F. Pietra, de Nice, l’Etoile de Mer d’origine comprend une pièce principale avec coin cuisine, des WC et une chambre. Côté mer, la porte-fenêtre s’ouvre sur une terrasse profonde de 1,50 m. sur laquelle donne aussi la fenêtre de la chambre. Entre la façade arrière et le talus des voies ferrées, l’accès se fait par une porte en bois et un passage. Sur la « restanque » basse, une baraque en bois abrite la douche.

S’agissant d’une construction préfabriquée légère, l’ossature en madriers de bois repose sur des plots en béton porteurs. Les murs sont en panneaux de fibro-ciment et la toiture à une pente en fibro-ciment ondulé repose sur des solives en bois. Les plafonds sont en isorel et le sol en parquet.

En construisant ce cabanon, Thomas Rebutato avait songé à l’associer à cinq autres qu’il aurait revendus après avoir créé un petit lotissement sur son terrain.

Voir aussi les Unités de camping

AGRANDISSEMENT
ET EMBELLISSEMENTS

Au fil des ans, pour mieux accueillir ses clients séduit par le panorama que leur offrait la terrasse de l’Etoile de mer, Thomas Rebutato saura faire évoluer son établissement.

Thomas Rebutato a ensuite agrandi et embelli son restaurant, installant une cuisine dans le passage arrière, cimentant l’escalier pour créer à son pied une nouvelle entrée. Une fois la pièce principale transformée en une salle de bar, il orna le comptoir et les murs de ses peintures.

À l’extérieur, tous les espaces forment un vrai jardin, où le goût de Thomas pour l’art brut s’exprime dans des bordures en tessons de bouteilles, des murets et des jardinières composés de brisures de briques et de galets glanés sur la plage. Quant à la terrasse et sa tonnelle, elles ont désormais la surface d’une vaste salle à manger d’été.

UN COFFRE-FORT
BIEN CACHÉ

Yvonne, la femme de Le Corbusier avait pour époux l’un des plus célèbres architectes du monde. Elle possédait aussi un insolite coffre-fort !

Comme Le Corbusier prenait ses repas à L’Etoile de Mer, la chambre de l’Etoile de Mer communique par une porte avec son Cabanon. Dans son épaisseur, cette porte intègre un étroit petit coffre pour les bijoux de son épouse.

Ornées d’une peinture de Le Corbusier, la cloison et la porte séparant la chambre des Rebutato du Cabanon de l’architecte © Fondation Le Corbusier / ADAGP - Photographe Manuel Bougot

 

LES PEINTURES
ET DESSINS

Détail d’une peinture de Thomas Rebutato sur le bar de l’Étoile de Mer © Consorts Rebutato - Photographe Manuel Bougot

Sur la façade extérieure de l'Etoile de Mer côté terrasse, on peut voir encore des peintures de Le Corbusier. A l'intérieur de la salle de bar des peintures et des dessins réalisés par Thomas Rebutato décorent les murs et le bar.

Tant dans la villa d’Eileen Gray que sur les murs de L’Étoile de Mer et de son Cabanon, Le Corbusier a réalisé plusieurs muraux sur le site de Roquebrune qui a aussi inspiré des dessins. L’ensemble de cette œuvre peinte et dessinée donne à voir un Le Corbusier véritablement amoureux de la Méditerranée.

VOIR  LE LIVRE «LE CORBUSIER, PEINTRE A CAP-MARTIN»

THOMAS REBUTATO
ET SA BELLE AVENTURE

Thomas Rebutato © Fondation Le Corbusier / ADAGP - Photographe René Maestri

Thomas, Egildo Rebutato, dit « Robert », né à San Remo le 13 juin 1907, passe sa jeunesse à Beausoleil, village proche de la principauté de Monaco. Plombier-couvreur de profession, il s’installe comme artisan à Nice en 1940. De nature rebelle, il fera tout naturellement partie d’un groupe de résistants de la ville, jusqu’à sa libération le 27 août 1944. Après la guerre, les plages étant enfin accessibles, il profite des dimanches d’été pour emmener son épouse Marguerite et ses enfants Monique et Robert sur la plage du Buse à Roquebrune Cap-Martin.

L’ÉTOILE DE MER
SIMPLE CABANON DEVENU RESTAURANT

Thomas Rebutato rêve d’acquérir un petit terrain, à proximité de cette plage pour construire un « cabanon » de pêcheur où entreposer le matériel du pique-nique et de pêche.

Cette opportunité s’offre à lui en 1947, sous la forme d’une parcelle de plus de 1 000 m2 mitoyenne de « la villa blanche », moderne qui appartient à l’architecte parisien, Jean Badovici. Sur ce terrain qui descend en pente vers les rochers en contrebas du sentier « des douanier », Thomas Rebutato imagine alors de créer un lotissement de 6 cabanons de 25 à 30 m2, qu’il aurait revendus, pour n’en conserver qu’un. Il fait appel à un architecte niçois et un prototype est construit en 1948-1949.

En 1949, des circonstances imprévues le conduisent à liquider son entreprise et à investir le cabanon prototype pour le transformer en restaurant. Ainsi est née l’enseigne «L’Etoile de Mer - Chez Robert».

Le jour de l’ouverture, Thomas Rebutato, secondé par son fils Robert (12 ans), voit arriver, son premier client. Hôte de Jean Badovici, il vient négocier la pension d’une dizaine de personnes pour une semaine. Cet homme, c’est Le Corbusier.

En août 1950, il peindra sur un panneau de bois un portrait de Thomas en casquette et tablier de restaurateur, face à André, le pêcheur d’oursins. « A l’Etoile de Mer règne l’amitié », sera le titre de l’œuvre qu’il offre à son ami pour l’installer sur la façade du bar-restaurant. Il encadrera ensuite ce tableau d’une peinture murale.

En juillet 1952, Le Corbusier installe sur le terrain voisin son « Cabanon », préfabriqué en Corse par l’entreprise de menuiserie Barberis. Ayant obtenu de Rebutato l’autorisation de s’adosser à l’Etoile de Mer, l’architecte crée une communication entre les deux bâtiments.

Le Cabanon achevé, Le Corbusier réalise une peinture murale dans le couloir d’entrée. De l’autre côté de la paroi où se situe la porte de communication entre le Cabanon et l’Etoile de Mer, une autre de ses peintures représente la famille Rebutato. Le Corbusier offre à Robert d’acquérir la parcelle de terrain où a été implanté le Cabanon, contre la réalisation de 5 « unités de camping » sur l’un des «jeux de boules» de la propriété Rebutato ; ce sont des unités de logement, spartiates mais fonctionnelles, dérivées des principes appliqués au Cabanon. Elles seront construites sur pilotis, toujours par Barberis, pendant l’été 1957. L’acte notarié de cession foncière sera régularisé en janvier 1961.

De 1957 à 1971, Thomas et Marguerite exploiteront les unités de Camping pour y accueillir des pensionnaires en vacances.

Thomas décède en février 1971, à l’âge de 63 ans, laissant Marguerite poursuivre seule l’exploitation jusqu'en 1984. L’activité du restaurant est arrêtée, mais l’Etoile de Mer reçoit toujours des locataires « en meublé », dans les Unités de camping, disposant des cuisines que Thomas avait fait aménager sous les pilotis, et d’une installation sanitaire collective. Le bar poursuit son activité : boissons et sandwiches, jusqu’à la disparition de Marguerite en avril 1987.

Thomas Rebutato au bar de l’Étoile de Mer, orné de ses peintures, comme en hommage aux animaux marins © Fondation Le Corbusier / ADAGP - Photographe René Maestri

 

RESTAURATION

Impression de la main de Le Corbusier sur le mur de l’Étoile de Mer © Fondation Le Corbusier / ADAGP - Photographe Guillemette Gardette

L'Etoile de Mer a fait l'objet d'une campagne de restauration.

La peinture murale de la façade, qui accompagne le tableau "A l'Etoile de mer règne l'amitié", a été réalisée par Le Corbusier dès que le tableau fut accroché sur la terrasse, en août 1949. Un homme assis en noir, à la Matisse, y côtoie une femme allongée ; les empreintes de pieds sont celles des pieds de Le Corbusier et de Thomas Rebutato.

Exposées aux intempéries et aux assauts du soleil et du sel de mer, cette peinture a été restaurée à plusieurs reprises.

LE JARDIN
PETIT PARADIS DE JARDINIER

Vue sur les jardins depuis la terrasse de l'Etoile de Mer © Photographe Médiéval-AFDP

Avec sa végétation méditerranéenne, le jardin de l’Étoile de mer est aussi représentatif de l’art brut. Dans ce petit paradis de jardinier qui forme un ensemble très cohérent, la question de l'ombre et du soleil façonne des ambiances très contrastées. La treille et les canisses qui abritent la terrasse-promontoire, l’escalier en ciment, les inclusions de cassons colorés et de galets, les plantations de succulentes reflètent parfaitement le savoir-faire du cabanonnier. En conséquence, c’est un jardin plein de surprises.

Magda et Robert Rebutato ont entretenu les terrasses et les plantations. Ils ont introduit des plantations nouvelles avec bonheur, dans la droite ligne des traditions jardinières. Quelques végétaux ont un peu poussé mais il faut conserver en état cet univers onirique en se limitant à complanter çà et là quelques fleurs.

Le jardin en « restanques » de l’Etoile de Mer et des Unités de Camping, accessible par un étroit escalier en ciment, est le domaine du thym et du romarin, des cactées et des plantes succulentes, palmiers et oliviers. Le parcours est agrémenté par des bordures en tessons de bouteilles créées par Thomas Rebutato. Des murets et des jardinières constitués de brisures de briques et de galets glanés sur la plage témoignent aussi de son sens de l’art brut.

 

Les Unités de Camping Un concept
né d’une amitié

Les unités de camping de Le Corbusier, façade sud © Fondation Le Corbusier / ADAGP - Photographe Manuel Bougot

En 1956, en échange de la parcelle de terrain du Cabanon, Le Corbusier fit construire pour Thomas Rebutato, cinq Unités de camping, conçues comme un prototype d’habitat de loisir. L’intérieur de ces Unités de camping reprend certains principes du Cabanon.

Construites par le charpentier Charles Barberis et réunies dans une structure sur pilotis, les Unités de camping illustrent les recherches de Le Corbusier sur un habitat de loisirs modulaire économique, adapté au tourisme balnéaire de masse. Chacune peut loger deux personnes dans 8 m², et une baie en forme de « T » couché, inspirée de l’idée moderne de fenêtre allongée, cadre le paysage face à la mer.

Avant le Cabanon, Le Corbusier avait étudié les projets de résidences de vacances ROB et ROQ, dont l’un pour son ami, Thomas Rebutato.

Le projet ROB (pour Robert) fut imaginé pour le Cap Martin en collaboration avec son ami Thomas Rebutato (qui se faisait appeler Robert). Destinées à être édifiées sur les rochers au-dessous de l’Étoile de Mer, ces « Unités de vacances » étaient une application du brevet « 226 x 226 x 226 » issu du Modulor. Il s’agissait de créer un volume habitable alvéolaire en profils d’acier, offrant une grande liberté spatiale pour l’habitation. L’étude du projet ROB s’est poursuivie jusqu’en 1955, quand une tempête a montré la vulnérabilité du site. Aucun des deux projets n’a été réalisé, mais les Unités de camping composées d’une suite de cinq chambres pour vacanciers prolongent ces recherches.

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BIOGRAPHIE DE LE CORBUSIER

DE LA RESTAURATION
À L’HÔTELLERIE DE LOISIR

Grâce à la création des Unités de camping, Thomas et Marguerite Rebutato vont développer sur le site une nouvelle activité qui s'ajoutera à celle de l’Etoile de Mer.

À partir de 1957, Thomas Rebutato et son épouse Marguerite complétèrent donc la restauration par l’hôtellerie en accueillant, l’été, des pensionnaires attirés par une vie sans contrainte en bord de mer.

Au-delà de leur valeur architecturale, ces Unités de camping permettaient à Thomas Rebutato de valoriser son terrain comme il l’avait souhaité quelques années plut tôt. En construisant (sur les plans de l’architecte F. Pietra, de Nice) son cabanon prototype de l’Etoile de Mer, il avait en effet d’abord pensé à l’associer à cinq autres cabanons revendus au sein d’un petit lotissement. Peu après le décès de Le Corbusier, il construisit, sous les pilotis des Unités de Camping, trois petites cuisines. À la mort de son mari en 1971, Marguerite Rebutato conserva le « bar-sandwiches » et continua jusqu’en 1984 à accueillir des vacanciers dans ces chambres meublées.